Patricia Allémonière, grand reporter à TF1 : « Les gens se recentrent sur leurs problématiques intérieures et cherchent de l’évasion à l’international »

C’est un grand nom du journalisme qui nous fait l’honneur de parler d’un métier passionnant : j’ai nommée Patricia Allémonière.

Le déclic s’est produit lors d’une première mission au Mozambique et depuis, le goût du terrain et des voyages ne l’a plus quittée. Rencontre enrichissante avec l’une des premières femmes reporter de guerre.

Elisa Humann : Qu’est-ce qu’être correspondant/reporter de guerre pour vous en 2020 ?

Patricia Allémonière : J’ai été correspondante au Moyen-Orient et en UK. Correspondant est différent d’être envoyé spécial, le correspondant approfondit comment ça se passe, tous les sujets généraux et les conflits. On peut être envoyé spécial et être spécialisé dans un domaine. Ça dépend de l’attachement à la maison-mère. On peut être envoyé partout et finir en plateau.

En ce qui concerne le grand network des télévisions, il faut être polyvalent.

Être envoyé spécial : savoir assimiler des connaissances rapidement et en tirer la synthèse. Rester humble. L’envoyé spécial pouvait se mesurer avec des chercheurs. Il faut assimiler très vite. Il y a toujours un moment où on ne sait pas.

Qu’est-ce qui vous plaît dans ce métier ?

Ce métier se pratique encore beaucoup en presse écrite mais moins dans les gros networks. Aujourd’hui, on est dans une phase mondiale où les gens se recentrent sur leurs problématiques intérieures et cherchent de l’évasion à l’international.

Le reporter de guerre est un hibernation.

5 ans plus tôt, on aurait couvert tout ce qu’on ne couvre pas aujourd’hui.

Liban : Carlos Ghosn, Australie : les feux de forêts.

On envoie les gens sur des questions d’art de vivre ou sur des questions de planète et d’environnement et des questions économiques mais les guerres qui se multiplient passent à la trappe. On ne fait plus ce qui était le cœur de notre métier.

Je pense que les gens sont fatigués par leur vie et ont une difficulté à s’adapter (internet, informatique et cyber). Ça semble agréable à vivre mais c’est une grande gymnastique d’adaptation. Ils ont moins envie de voir des gens qui se battent pour leur liberté. Une épopée leur plairait ?

Question de coût : phase de restriction budgétaire. Moins coûteux de suivre une ONG. On nous impose des protections et les compagnies entourées d’une direction frileuse aux risques.

Ce bouleversement sociétal fait que nous avons moins de marche de manouvre.

Il y aura tjrs un peu de presse écrite et des freelances, qui se partagent les coûts, restent longtemps sur place. Il y a d’autres façons de travailler mais ce n’est que le début. Les méthodes traditionnelles vont être difficile à appliquer.

A l’heure des réseaux sociaux et de l’hyperinformation, comment exercez-vous votre métier ?

Dans les réseaux, il y a de tout, de l’instantané utile mais à vérifier car cela peut être faux. Cela va de pair avec la manipulation. L’avantage de se reporter sur des networks traditionnels c’est qu’il Ya des services de vérification, avec accord de l’intéressé. On fait attention. L’important est de vérifier. Quand on est rentrés dans l’ère des directs : Timi Soara. Pas de précipitation. Dans toutes ces phases d’adaptation, on reconnaît les erreurs et on ne les refaits pas.

Pas le droit à l’erreur. On n’enfouit pas l’information du flux. Le flux c’est la parole en continu. Il est difficile de porter un jugement.

Que diriez-vous à quelqu’un qui veut faire ce métier ?

Si on a très envie faut y aller. La phase aujourd’hui n’est pas rapporteuse et il faut tourner et monter et savoir écrire. Il faut être assez polyvalent. Dès qu’on sent quelque chose qui bouge, il faut y aller à plusieurs, en prenant des contacts au départ dans le monde francophone avant qu’il soit trop tard.

Il faut bien parler l’anglais, le monde anglophone achète plus de choses. Il faut aller faire des stages dans des rédactions anglosaxonnes.

Ça marche par cycles. Avant de faire reporter de guerre, on peut être correspondant. Découvrir un pays sous tous ces aspects c’est fantastique.

Vous avez co-écrit un livre sorti l’an dernier avec 4 autres reporters de guerre : pensez-vous que votre témoignage peut susciter des vocations ?

Je ne sais pas car c’étaient des petits témoignages, 45000 signes chacune. Ça se veut rapporter, entrouvrir une porte sur ce métier.

Où vous voyez-vous dans 10 ans ?

Je ne me suis jamais projetée car je fais un métier de l’immédiateté. Je suis plus cigale que fourmi.