Little French Interview : Thérèse : “Je fais une musique qui me ressemble”

Sorti le 22 mars dernier, le premier de THÉRÈSE, « L’Attente », nous emmène dans un voyage existentiel entre électro et pop. Musicienne, directrice artisrtique, styliste, modèle et conférencière engagée, Thérèse présente un parcours atypique et libre. A quelques semaines de son concert à la Maroquinerie à Paris, nous l’avons rencontrée.

Bonjour Thérèse, peux-tu te présenter ?

Je suis musicienne, je suis aussi styliste et directrice Artistique. Je mène également plein d’actions engagées auprès de la jeunesse, notamment sur les questions du vivre ensemble. 

Je suis née à Ivry sur Seine (Val de Marne), d’un père à moitié laotien et à moitié chinois et d’une mère vietnamienne et à moitié chinoise. Tous les deux ont grandi au Laos et se sont rencontrés à Paris. J’ai eu une enfance de banlieue plutôt populaire, où j’ai grandi entre le 9-3 et le 9-4.

Mes parents m’ont beaucoup poussé à faire des études, donc je me suis retrouvée en prépa HEC, après avoir obtenu un bac S alors que je voulais faire un bac Let que je voulais faire une école d’art. Je me suis finalement retrouvée en école de commerce.

Ensuite, j’ai travaillé dans le monde du luxe pendant cinq ans et demi en marketing, avant de faire un burn out parce qu’à cette époque là, il y a une dizaine d’années, j’ai appris que j’avais une maladie héréditaire qui était la même que ma maman, la polykystose hépato-rénale. Suite à cela, j’ai décidé de partir de mon ancien job et de commencer la musique.

Tu n’es pas seulement chanteuse, tu es aussi D.A, styliste, à quoi ressemble une journée type ?

C’est simple : je n’en ai pas. J’ai horreur de la routine et j’ai construit ma vie telle quelle  même si j’ai conscience en grandissant et en vieillissant que c’est important d’avoir des rituels dans la vie pour garder un certain équilibre.

Mais j’aime quand les journées se succèdent et qu’elles ne se ressemblent pas. Il y a déjà tant à faire avec la musique alors quand on est aussi entrepreneuse, les journées sont très complexes et différentes.

Aujourd’hui, je me suis occupée des fichiers en cours pour le vinyle que je suis en train de créer, ensuite j’ai dû gérer des histoires de billets de train, cet après-midi, j’ai 3 interviews médias donc une avec toi. Avant cela, j’ai dû aller chez mon tourneur pour valider des matériaux pour la scénographie.

Demain, j’ai un shooting photo. Parfois je suis en tournage, d’autres fois je suis sur la route pour des concerts en France et à l’étranger. Donc vraiment mes journées ne se ressemblent pas du tout et c’est parfaitement en adéquation avec mes choix de vie.

Tu as sorti un album le 22 mars dernier, “L’attente”, de quoi parle t-il ? 

C’est mon tout premier album. Le titre fait référence à la période d’attente de ma greffe. Suite au diagnostic il y a une dizaine d’années, la maladie a évolué assez vite et il s’avère que je me suis fait transplanter en 2022. J’en ai pas mal parlé sur mes réseaux sociaux après l’avoir caché pendant longtemps parce que je ne savais pas comment le dire publiquement.

Mais au bout d’un moment, je me suis dit qu’il était essentiel pour moi de pouvoir raconter ma propre histoire parce que je commençais à entendre des rumeurs sur moi. Vu que je suis une femme, que j’ai la trentaine, j’avais un ventre qui commençait à pousser et les gens ont tout de suite commencé à dire que j’étais enceinte.  Et pour faire taire les rumeurs, j’ai voulu parler en mon nom, raconter mon histoire. Et aussi parce que simplement, comme je m’étais mis sur liste d’attente et que cette maladie et cette opération, cette greffe de foie, c’est une grosse opération, je ne savais pas  dans quelle mesure j’allais survivre ou pas et si oui, dans quel état. 

C’est pourquoi “L’Attente” découle de cette période et de tout cet apprentissage.

La chanson L’attente parle vraiment de mon attente de greffe et du fait que nous sommes toujours en train d’attendre quelque chose qui va potentiellement changer notre vie. Est ce que c’est le coup de fil de la personne qu’on aime ?

Est ce que c’est un nouveau job ? Est ce que c’est de prendre le métro pour partir ? Un prochain voyage ? On est toujours dans l’attente de quelque chose. Et finalement, moi, moi je me suis rendu compte que la vie c’était finalement, et c’est un certain philosophe qui l’a dit au Moyen âge, c’est l’attente de la mort.

Mais la question, c’est de savoir comment est-ce que l’on a envie de l’attendre. Est ce qu’on a envie que l’attente soit joyeuse, tumultueuse, chiante ? Quel effet le temps a pu avoir sur moi en tant que personne ?

La première chanson raconte cette espèce de relation amour-haine avec le temps, de la sensation d’embrasser de mieux en mieux le temps et d’essayer de le mettre à profit et également l’impression de le subir, de courir sans arrêt après les choses.

C’est cette espèce d’ambivalence que j’avais envie de raconter. Je parle aussi de mes rêves d’enfance. J’avais envie d’être chanteuse et la société m’a beaucoup empêchée. Aujourd’hui, je prends plus de recul sur l’industrie de la musique où je me rends compte que finalement c’est pas si rose que ce que j’avais imaginé quand j’étais gamine.

Mais c’est pas si noir non plus et c’est un regard d’adulte qui est posé sur sur les rêves d’enfant. Je parle aussi du temps qui passe sur le corps des femmes par exemple. On demande beaucoup aux femmes d’être tout le temps parfaites, d’être séduisantes. On refuse aussi de les voir vieillir dans la société. Et moi, en tant que femme de 38 ans, et je trouve ça important de montrer des modèles qui existent de femmes, des modèles différents et de montrer à quel point c’est important de représenter tous les âges et de faire en sorte que les personnes plus jeunes n’aie pas peur de vieillir parce qu’en fait, vieillir, c’est pas un drame, c’est la vie.

On a l’impression que c’en est parce que dès qu’une femme dépasse 30 ans, elle veut plus dire son âge. Il y en a beaucoup qui se mettent à faire de la chirurgie esthétique. Alors j’ai rien contre dans l’absolu, mais si c’est pour combler quelque chose, pour paraître plus jeune, parce qu’on a peur de perdre en pouvoir, en séduction, etc. Je trouve ça triste en fait. 

Dans le titre “Shonen”, tu dis “Si j’étais un homme je serai déjà Orelsan”. Ça a été un parcours difficile ?

Je n’ai pas eu de gens qui me disaient frontalement :  t’es une meuf, t’y arriveras pas.” C’est beaucoup plus insidieux que ça. La société est orchestrée de manière à ce qu’on soit très peu représentées.

Je suis née en banlieue, donc associée aux classes populaires, je suis une personne asiatique, il y a peu de personnes asiatiques dans la chanson. J’ai une maladie, on ne parle  pas des artistes qui sont malades et même des gens qui sont malades tout court. Dans la société, c’est très tabou.

Je viens de fêter mes 38 ans et finalement dans la musique on ne prend que des jeunettes. Donc en fait je suis toute cette espèce qui n’est pas visible en tant que modèle dans la société. Et du coup, forcément, ce que ça induit,  quand on n’est pas représenté, à ne pas avoir le droit à quelque chose.

Quand j’étais gamine, je me disais tout le temps : “En fait je suis asiat’ et il y en a qui ne sont pas aussi dans la musique. Peut être qu’on est pas assez cool, peut être qu’on est pas assez talentueuses, peut être qu’on est pas assez belles pour faire ça.” Et c’est horrible en fait de se dire ça en tant que gamin.

La représentation est très importante. Et du coup, c’est pour ça que je pense que c’est toujours intéressant de continuer à se battre pour ses idées et d’essayer de se faire entourer pour faire avancer la société.

Dans ton précédent EP, Multi Reverse, il y avait vraiment un kaléidoscope musical avec différents thèmes. Est-ce qu’il y en a un qui te plaît en particulier ?

J’aime à peu près tous les styles de musique, sauf le reggae, je ne sais pas pourquoi et pourtant j’ai rien contre dans l’absolu, mais en vrai, corporellement ça me parle pas. 

Je me bats pour l’intersectionnalité et à travers mon histoire, à travers plein de choses, c’est ce que je mets dans ma musique parce que je ne fais que ce que je suis.

Si ça ressemble à quelqu’un d’autre, c’est peut être parce qu’une certaine musique m’a influencé et moi j’ai été influencé par émaillés autant que par Rihanna, Usher, Louise Attaque… 

J’essaie juste d’en faire une synthèse mais en fait je suis aussi influencée par plein de choses, par la peinture, par la littérature. Je lis énormément de psychologie, de psychanalyse, de philo et tout se trouve quelque part. Mais mes pensées que j’ai digérées se retrouvent dans mes textes. Mon amour pour la mode se retrouve dans mes clips et j’essaie juste de faire kiffer et d’exister dans le paysage musical.

Quels sont les projets à venir cette année ?

Il y a des concerts dont celui à la Maroquinerie le 12 juin. C’est marrant parce que j’ai commencé ma tournée en janvier à Bruxelles. J’y serai à nouveau à Liège le 15 avril puis à Cologne pour un festival, en Bretagne à Auray pour les Nuits soniques, un autre festival en Allemagne…

Et une très belle date qui arrive à la rentrée mais dont je ne peux pas en dire plus pour l’instant…

Mystère donc… Avec toutes ces dates de concert, comment fais-tu pour ne pas avoir le trac ? Quel est ton remède contre ça ?

Je pense que j’aurai toujours le trac. Quelque part, c’est un bon moteur, même si parfois il peut te jouer des tours au niveau de la voix. Je pense que le trac c’est le signe que tu accordes de l’importance à ce que tu vas faire sur scène.

Même si je n’aime pas la routine, j’ai absolument besoin de ritualiser mes montées sur scène pour pouvoir me calmer. Ça m’apaise beaucoup de me dire que, 1h avant le concert, je ne parle plus à personne.

Je m’enferme en loge, je m’échauffe, je respire et je ne reste qu’avec mon énergie. C’est une sorte de kaméhaméha dans un bol, où tu as besoin de concentrer ton énergie parce que tu vas devoir donner énormément aux gens. Et la magie des concerts, c’est que plus tu donnes, plus tu reçois.

En somme, pour avoir un maximum d’énergie, je limite les interférences avec d’autres personnes.

Où te vois-tu dans 10 ans ?

J’en ai absolument aucune idée et je pense que ça me rassure parce que moi je me bats beaucoup pour cette idée de liberté et se dire que tout peut changer du jour au lendemain si on en a envie.

Avec du travail, évidemment, il y a un minimum d’argent pour ne pas se retrouver à la rue, mais je suis très heureuse de ne pas savoir où je serai dans dix ans. C’est important de se laisser évoluer par rapport à ce que notre corps et notre cœur nous disent de faire. Et souvent justement, quand on fait des plans, on a tendance à se fixer sur une idée. Par exemple : faire des enfants ou acheter une maison.

Ça risque de nous bloquer pleins de possibilités autour parce qu’on voit plus les opportunités qui s’offrent, les rencontres qui peuvent se faire et qui peuvent complètement dévier de ce chemin.

Je n’aime pas avoir des attentes, ou bien si j’ai une attente, ce n’est de plus en avoir ! 

© Sarah Jacquier

Retrouvez le live-report du concert de Thérèse à La Maroquinerie le 12 juin 2024 !

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